LE RETOUR DU CHEVALIER NOIR
Souvenez-vous, il y a désormais plus de trente ans, les salles obscures du monde entier attiraient des millions de spectateurs. L’objet de leur visite ? Les retrouvailles du septième art avec Batman, le héros créé en 1939 par les auteurs de BD américains Bob Kane (dessinateur) et Bill Finger (scénariste). Après deux périodes fastes (les comics des années 40 puis la série TV des années 60), le chevalier noir était tombé en désuétude. La faute incombant à l’orientation résolument kitsch qui avait été impulsée à son univers et qui avait fini par dérouter les fans.
C’est au milieu des années 80, grâce au succès de ses nouvelles aventures scénarisées d’abord par Frank Miller (« The Dark Knight ») puis par Alan Moore (« The Killing Joke »), qui renouaient avec l’atmosphère sombre et tourmentée de ses débuts, que la compagnie Warner Bros, détentrice des droits d’adaptation cinématographique, se décide enfin à mettre en chantier le long métrage dédié au justicier masqué qu’elle envisageait de faire depuis 1979.
Réalisé par Tim Burton, interprété par Michael Keaton, Jack Nicholson et Kim Basinger, et mis en musique par Danny Elfman, le film ne sera pas qu’un simple succès : il sera un véritable triomphe. Sorti au milieu de l’année 1989, il attira les foules pendant plusieurs mois de suite, rapportant 411 millions de dollars pour un budget initial de 35.
Bien évidemment, les fabricants de tous poils ne s’étaient pas fait prier pour approcher la Warner et tenter d’obtenir la licence dans l’espoir de vendre toutes sortes de produits dérivés. L’année 1989, on s’en souvient, aura été placée sous le signe de Batman : son célèbre logo ovale noir et jaune s’affichant absolument partout et sur toutes sortes de supports. Même les radios et les chaînes de télé musicales passaient en boucle les tubes de Prince composés pour l’occasion. Mais ce n’est pas tout : deux sociétés bien connues des Amigaïstes ont elles aussi profité de la « Batmania » : l’éditeur britannique Ocean Software, et surtout la filiale anglaise du constructeur américain Commodore.
LA BATMANIA S’EMPARE DE L’AMIGA
L’éditeur de jeux vidéos Ocean Software (1983-1996), basé à Manchester, était connu pour ses nombreuses adaptations de jeux d’arcade mais aussi de films ou de séries. En 1988 il avait déjà à son actif de nombreuses réalisations sur ordinateurs 8 bits telles que Rambo, Highlander, Short Circuits ou Cobra (pour les films) ainsi que Miami Vice, Street Hawk, ou Transformers (pour les séries). L’éditeur était toujours à l’affût des grosses productions américaines, synonymes pour lui de ventes assurées pour ses logiciels de jeux. Ayant appris l’existence d’un tournage prévu sur le sol anglais (aux studios Pinewood) d’un nouveau film sur Batman (le dernier datait d’il y a vingt ans) et étant déjà amateur du personnage (il avait déjà réalisé deux jeux en 1986 et 1988 adaptés des comics) les commerciaux d’Ocean se précipitèrent auprès de Warner Bros pour en acheter les droits d’adaptation.
À son tour, le responsable marketing de Commodore Angleterre, David Pleasance, apprit les projets des deux sociétés. Enthousiasmé, il eut l’idée de profiter du futur tapage médiatique pour mettre en avant la machine dont il avait la charge d’assurer la promotion : l’Amiga 500. Il invita alors l’équipe de direction d’Ocean et leur proposa un marché : il s’engageait à vendre leur jeu en bundle avec son ordinateur fétiche, d’en assurer la promotion, et à leur payer chaque exemplaire ainsi vendu. En échange de quoi il leur demanda de ne le sortir en version ‘boite’ que deux mois plus tard. Le but avoué étant d’inciter les chalands impatients à acquérir le bundle tout entier. Afin de convaincre chaque membre des foyers anglais que l’achat de cet ordinateur leur était indispensable, d’autres logiciels seraient ajoutés au bundle : Deluxe Paint 2, F/A 18 Interceptor et New Zealand Story, de quoi combler toutes les attentes. Convaincue, la direction d’Ocean accepta de conclure l’affaire. Ils ne l’ont pas regretté.
Le film Batman sortit donc au milieu de l’année, assisté de la force de frappe publicitaire du studio américain. Puis au mois d’octobre ce fut au tour du pack lancé par Commodore. À ce moment-là l’Amiga 500 vit son prix de vente passer de 500 à 400 livres sterlings (environ 4000 francs de l’époque). Pleasance enfonça le clou en renchérissant à coups de campagne d’affichage dans les grandes villes et de diffusion de spots T.V sur les chaînes nationales. Ainsi, associé à la licence cinématographique la plus en vue du moment, devenant abordable à un plus grand nombre de consommateurs, et s’assumant désormais comme étant une véritable machine de jeu, l’Amiga 500, lancé depuis 2 ans, trouva enfin son public. Le résultat des ventes fut à la hauteur de ceux du film : un véritable raz de marée. Au lieu des 10 000 ventes attendues pour la période précédant Noël 1989, Commodore et Ocean écoulèrent rien de moins que 186 000 unités du désormais célèbre « A500 Batman Pack ». Un véritable plébiscite qui lança l’Amiga 500 pour de bon au Royaume-Uni et lui assura une solide réputation pendant des années. Porté par le succès du film dont il était tiré, et très bien noté par la presse spécialisée, le titre Batman-The-movie d’Ocean se vendit ensuite très bien, y compris dans sa version ‘boite’.
Ayant permit le véritable lancement de l’Amiga 500, et portant le statut d’adaptation officielle du célèbre film, ce jeu est depuis devenu un titre emblématique de l’Amiga. Mais une fois la Batmania retombée, que reste t-il ? En effet on est en droit de se demander si ce programme ne doit pas son succès qu’au flair de l’éditeur anglais, qui a su capitaliser sur un titre cinématographique porteur. Autrement dit : Batman The Movie d’Ocean mérite t-il sa réputation ? Est-il réellement un bon jeu ? Fait-il honneur aux capacités de l’Amiga ? Et enfin est-il digne du film de Tim Burton ? C’est pour tenter de répondre à toutes ces questions que nous allons maintenant passer le jeu au peigne fin.
BATMAN THE MOVIE : THE VIDEO-GAME !
Le jeu vidéo Batman d’Ocean est conçu comme un jeu multi-genre. Cela signifie que le gameplay n’est pas toujours le même d’un bout à l’autre du jeu. Dans le cas qui nous occupe le joueur devra parcourir cinq niveaux, dont seulement le premier et le dernier sont strictement du même type. Passons-les en revue (clic gauche pour agrandir les vignettes).
L’action débute dans l’usine chimique Axis dans ce qui semble être un mix entre platformer et run’ngun. Batman y affronte les sbires du criminel Jack Napier qu’il est venu appréhender. Pour protéger leur patron, ils usent (et abusent) de leurs pistolets et de leurs grenades. Le héros capé réplique en leur lançant des Batarangs pour les envoyer au tapis. Rien de bien original de prime abord, mais il ne faut pas s’arrêter à la première impression.
On découvre en effet rapidement qu’il y a trois particularités à cette séquence. La première est la non-linéarité du parcours. Sans être immense, l’usine offre la possibilité bienvenue d’atteindre le but par divers chemins. Au joueur de découvrir le plus rapide (le temps est en effet limité) et le moins dangereux (les ennemis sont nombreux et belliqueux) qui lui permettra de rejoindre sa cible. La seconde particularité est l’I.A des ennemis. Elle est plus avancée que dans les jeux similaires de la même époque. En effet les hommes de main de Jack ne se contentent pas de faire les cent pas sur un zone prédéfinie. Ils savent se déplacer vers vous, emprunter des échelles pour monter ou descendre et même viser en diagonale (et plutôt précisément d’ailleurs) afin d’atteindre l’ombre qui les menace. La troisième particularité, et pas des moindres, vient de l’utilisation du Bat-grappin. Cet ingénieux gadget peut être propulsé en hauteur dans les trois directions, et remplit plusieurs fonctions. Il permet d’abord au chevalier noir de franchir les précipices (trop lourdement cuirassé il ne lui est pas possible de les franchir d’un bond), ensuite de le laisser descendre en rappel (pour éviter de chuter de trop haut, ce qui lui fait perdre de l’énergie) et enfin d’éliminer les opposants situés en hauteur hors d’atteinte de ses Batarangs (qui eux ne peuvent être lancés qu’horizontalement).
La seconde partie du jeu change complètement de la première en nous plaçant au volant de la superbe Batmobile. Le challenge consiste à traverser Gotham City en trombe pour permettre à la journaliste Vicky Vale, assise à vos côtés, d’échapper au Joker. Le temps est limité pour parvenir à la Batcave, et la voiture subit des dommages à chaque collision (autres véhicules, réverbères … ) Là encore, les concepteurs ont ajouté une particularité qui pimente la balade : des barrages de police sont régulièrement dressés en travers des avenues. Rappelez-vous que Batman est un hors-la-loi. Pour lui éviter de se faire prendre, il lui faut bifurquer au dernier moment dans des artères transversales. Mais pour négocier ces virages à angle droit lorsque l’on roule à tombeau ouvert, il n’y a qu’une seule solution. Il faut déclencher le lancement du câble prévu à cet effet, pile au bon moment pour qu’il aille s’enrouler autour d’un poteau, juste avant le virage désiré. La Batmobile effectue alors la manœuvre vertigineuse qui lui permet d’échapper aux forces de l’ordre et de continuer sa course folle.
La troisième partie est la plus courte du jeu. Arrivé à la Batcave, vous devez faire subir une analyse à différents produits d’hygiène et de beauté. Parmi eux se cachent trois ingrédients du Smilex, ce poison épidermique que le joker a dissimulé dans des flacons de cosmétique vendus à grande échelle, afin de se venger de la population de Gotham. La séquence est de type Master-Mind. Vous devez soumettre au test trois produits à la fois sur les huit suspectés et identifier quelle est la mortelle combinaison du Smilex. Après chaque essai l’ordinateur vous dévoile combien de produits sont impliqués sur les trois que vous lui avez proposés. Vous n’avez droit qu’à sept essais pour résoudre l’énigme.
La quatrième partie utilise le même moteur de jeu que la seconde, mais le gameplay diffère car vous êtes cette fois aux commandes du Batwing. Le Joker profite des festivités du deux-centième anniversaire de la ville pour mêler à la parade des ballons géants emplis à la fois d’hélium et de Smilex. Il compte les vider de leur contenu sur la foule lorsqu’ils viendront assister à la grande parade. Votre mission consiste donc à sectionner les cordes retenant ces ballons en volant exactement entre eux et le véhicule qui les tire. Le fuselage effilé de votre planeur fera le reste et les ballons s’envoleront loin de la ville.
La cinquième et dernière partie du jeu propose exactement le même gameplay que la première, à la différence près que l’action se situe dans la cathédrale de Gotham City, de quelques difficultés supplémentaires, et que l’ennemi à atteindre est le Joker. Le but étant de l’arrêter avant qu’il n’atteigne son hélicoptère situé au sommet et ne vous échappe. Là encore vous aurez le choix entre plusieurs itinéraires possibles.
UNE RÉALISATION HORS PAIR EN 1989
On ne peut juger de la qualité technique de Batman The Movie qu’en le comparant avec des jeux qui lui sont contemporains. Nous connaissons tous des réalisations ultérieures, exploitant bien mieux les capacités de l’Amiga. Mais il ne faut pas s’y référer si l’on souhaite se rendre compte de l’impact qu’a pu avoir le jeu d’Ocean lors de sa sortie. Rappelons que pendant ses premières années d’existence, l’Amiga a connu une immense proportion de simples transpositions de jeux 8 bits (ce qui était l’essentiel du parc de machines installé à ce moment-là) qui ne profitaient en rien de ses possibilités supérieures. Ensuite lorsque de nouvelles productions se mirent à exploiter le processeur Motorola 68000, c’étaient principalement des clones de jeux Atari St, qui ne mettaient ni à contribution les coprocesseurs spécifiques ni les capacités graphiques étendues de l’Amiga. Revoyons les différentes parties du jeu d’un point de vu technique, comparons-les à d’autres jeux de la même époque et voyons en quoi Batman a fait date dans la ludothèque de l’Amiga.
Les séquences 1 et 5 affichent des décors qui peuvent paraître austères. Il est vrai que les intérieurs de l’usine Axis ou de la cathédrale ne proposent que des décors simples, purement descriptifs, sans aucun style graphique particulier. Mais en cette année 1989 ils apparaissent comme riches et détaillés, avec une bonne définition graphique et une fenêtre de jeu généreuse s’étendant sur toute la largeur de l’écran. En comparaison, des conversions d’arcade comme Strider, Robocop ou Double Dragon faisaient triste figure : fenêtres plus retreintes, graphismes plus simplistes, moins de couleurs affichées, pas de dégradés dans les décors.
D’autres jeux comme Scorpion ou Dragon Ninja, pouvaient en revanche se targuer d’être plus séduisants graphiquement avec de plus gros sprites et des décors plus chatoyants. Mais leur action, ne se déroulant que sur un scrolling horizontal, imposait une linéarité totale du cheminement au joueur. Celui multi-directionnel de Batman, plutôt fluide pour l’époque, permettait au contraire de partir en exploration, donnant ainsi une plus grande sensation de liberté. Compte tenu de l’usage du grappin, on peut également comparer le jeu d’Ocean avec Bionic Commando sorti en 1988. Mais cette conversion Amiga d’un jeu d’arcade de Capcom ne vaut pas grand-chose face aux prouesses de l’homme-chauve-souris. Sa réalisation 8 bits est totalement honteuse pour un ordinateur 16 bits, sans parler de sa jouabilité hasardeuse.
La deuxième séquence, de type « course automobile », balaye allègrement tout ce qui existe à l’époque. Les jeux de voitures du moment ont pour titre : Outrun et Chase H.Q (encore des conversions d’arcade). Mais elles ne font pas le poids : le frame-rate de ces programmes est bien plus faible (voire catastrophique pour le jeu de Sega) et gêne visuellement le joueur. D’autres jeux plus réussis techniquement tels que Crazy Cars 2 ou Overlander pêchent en revanche par la maniabilité aventureuse des bolides, ce qui sabote le plaisir de jeu. Du côté de « Gotham City by Night » on ne souffre d’aucun de ces deux défauts. La fluidité est très bonne et la Batmobile réagit immédiatement aux sollicitations (accélérations, freinages, esquives).
Pour ce qui est de l’environnement graphique la vision nocturne de Gotham change agréablement des sempiternelles routes ensoleillées vues et revues dans les autres jeux de course. On notera que le fond est composé de deux couches de scrolling, contre une seule dans la quasi totalité des softs similaires, même ultérieurs, ce qui permet d’accentuer l’effet de profondeur. Enfin notons que le tracé du parcours offre des dénivelés, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux autres titres contemporains.
La quatrième séquence, de type «acrobatie aérienne », n’a, à ma connaissance, que peu d’ équivalents. Thunderblade, jeu d’hélicoptère de combat de Sega adapté par Tiertex en 1988, propose dans certains niveaux la même vue arrière de l’appareil. Le graphisme en 3D simpliste y est assez laid, et l’animation saccadée. Bien que sorti un an plus tard il est inférieur à Gee Bee Air Rallye de 1987. Dans cet original jeu de courses d’avions, les couleurs sont mieux choisies et l’animation plus fluide que dans le titre précédent. De plus il se rapproche davantage du jeu qui nous occupe.
Au niveau du principe, dans les deux programmes, il faut à la fois gérer son altitude et sa vitesse, tout en visant des ballons-cibles (du moins dans certains niveaux de Gee Bee). Mais le jeu d’Activision se révèle assez lassant visuellement du fait de décors trop dépouillés (pour ne pas dire totalement vides) et monotones. Là encore la séquence en Batwing remporte la palme. D’une part le décor nocturne de Gotham City, illuminé de lumières urbaines, est plus attrayant et détaillé que les vastes déserts de Gee Bee, mais en plus son animation y est tout aussi fluide.
En somme, visuellement, tout ce qu’on pourrait opposer à Batman The Movie en 1989 est de ne pas pouvoir rivaliser avec la débauche de couleurs et de plans de scrolling différentiel parfaitement fluides d’un certain Shadow Of The Beast, sorti au même moment. Mais ce titre-là fait figure d’exception. Il est plus une splendide démonstration artistique, qui contribua grandement à établir la supériorité technologique de l’Amiga, qu’un jeu véritablement conçu en tant que tel. Si l’on se place sur le plan strictement ludique, en tenant compte de la plus grande variété des situations rencontrées, des plus larges possibilités d’action du personnages principal, et d’une courbe de difficulté mieux gérée (on en parle dans la prochaine partie) le hit d’Ocean, bien que moins éclatant visuellement, est un meilleur jeu que celui de Psygnosis (mais chacun a le droit de ne pas être d’accord : n’hésitez d’ailleurs pas à venir exprimer votre opinion à ce sujet ici).
N’omettons pas d’évoquer à nouveau la qualité de l’intelligence artificielle, qui a fait l’objet de plus de soins que dans bien d’autres productions de l’époque. En effet, les sbires de Jack Napier (alias le Joker) sont bien mieux lotis que bon nombre de leurs confrères. Entre autres exemples citons Rambo III, un jeu pourtant contemporain et du même éditeur. Les malheureux geôliers du Colonel Trautman se contentent de faire stoïquement les cent pas sur une zone déterminée, sans réagir le moins du monde à la présence du héros bodybuildé venu les assassiner. Pourvu qu’il reste sur leur côté et pas face à eux, ils ne le remarquent même pas. On a déjà vu plus vigilants. De plus, égorgés au couteau, les ennemis poussent des râles d’agonie qui n’alertent nullement leurs compagnons, pourtant en faction dans la même pièce. Inutile de préciser que dans ces conditions, l’illusion de faire face à des adversaires dignes de ce nom n’opère pas. Les opposants du chevalier noir, bien au contraire, lui font l’honneur de ne pas l’ignorer lorsqu’il entre dans leur champ de vision. Ils vont copieusement se servir de leurs armes, le suivre s’il change d’étage, attaquer en groupe. Voilà ce que c’est que de respecter son adversaire.
La réalisation de Batman The Movie est donc excellente au regard des critères de 1989. Tous les détails y sont soignés : depuis l’écran d’accueil qui arrive en scrollant, au bandeau inférieur pendant le jeu qui apparaît/disparaît en fondu au noir, en passant par l’affichage très large de la fenêtre de jeu, la fluidité des scrollings et des animations, jusqu’aux superbes écrans intermédiaires, aucun bug qui n’ait été corrigé avant la sortie … En 1989 l’Amiga 500 est la meilleure machine de jeu disponible en Europe, et le jeu d’Ocean en est la brillante démonstration. La version Atari St qui suivra, tout en offrant une réalisation très proche, sera pénalisée par une fenêtre de jeu plus étroite, une absence totale de bruitages, des musiques de qualité inférieure (le chipset Yamaha du St ne pouvant rivaliser avec Paula), et moins de couleurs dans les écrans intermédiaires.
Dans les années qui suivront Batman The Movie sera bien sûr dépassé techniquement par bien d’autres jeux (citons Lotus 2 pour le frame-rate, Lionheart pour le nombre de couleurs – entre autres exemples). Mais ils auront été développés ultérieurement, par des équipes plus expérimentées et souvent pour une configuration supérieure (1 Mo, contre 512 ko pour Batman).
UN NIVEAU DE DIFFICULTÉ BIEN ÉTUDIÉ
Mais une bonne réalisation n’est pas tout. L’important pour un joueur, quand il a dépensé son argent, est de pouvoir pleinement profiter de son achat, et en l’occurrence ici, de s’amuser avec. Dans ces années-là où l’usage des mots-de-passe (et encore moins des sauvegardes) était trop peu répandu dans les jeux d’action, nombreux sont ceux qui ont été dégoûtés par l’acquisition d’un jeu vidéo doté d’une difficulté insurmontable. La bonne nouvelle concernant Batman The Movie est qu’il n’est pas de ceux-là.
Bien évidemment, comme dans tout jeu, il faut s’habituer au gameplay et s’y exercer pour se l’approprier. Or il y en a quatre différents dans celui-ci. Mais quelle que soit la section que l’on découvre on y progresse à chaque fois et l’on finit par venir à bout de toutes les difficultés. Petit tour d’horizon :
Dans les premières et cinquièmes parties, le principal obstacle vient du maniement du bat-grappin. Son usage est délicat au début car une fausse manœuvre au moment du décrochage peut vous précipiter dans le vide que vous tentez de franchir. Étant donné que la bonne utilisation de cet outil est indispensable à la réussite de la mission, il convient de s’entraîner en des lieux sûrs à ses trois applications possibles. Une fois apprivoisé il compense largement l’impossibilité de sauter, étonnante au départ, mais dont on se passe ensuite très bien. De son côté la limite de temps n’est pas pénalisante. Il y a largement le temps de parvenir à la fin de chaque section avant que le Timer n’atteigne zéro. C’est appréciable de ne pas se sentir constamment mis sous pression par un chrono trop serré d’autant plus les sbires de Jack Napier suffisent largement à pimenter la balade. Ils réagissent véritablement à votre présence, sont nombreux et fins tireurs. En revanche ils se font surprendre facilement par une attaque dans le dos, ou bien en leur tombant dessus depuis une plate-forme supérieure sans qu’ils s’y attendent. Une manière très élégante de se débarrasser d’eux.
La difficulté dans la deuxième partie est la plus relevée du jeu. En ce qui concerne la conduite de la Bat-mobile : pas de souci. Elle est identique à celle de tout autre jeu de voiture. Il n’y a que l’usage du grappin à apprendre en sus. Ce qui se fait sans problème (Fire + gauche ou droite) et que l’on l’intègre rapidement. En revanche la grosse difficulté du challenge vient cette fois-ci du temps limité. Il y a ici peu de marge de manœuvre, le temps imparti étant calculé au plus juste. La réaction première du joueur serait donc d’appuyer davantage sur le champignon que la prudence ne le lui dicterait. Mais ce serait un mauvais plan. Car si la Batmobile est capable d’atteindre des vitesses prodigieuses, ce n’est pas le cas des voitures des citoyens de Gotham qui deviennent des obstacles pour elle. Et au terme de plusieurs chocs frontaux (avec d’autres véhicules ou avec des poteaux bordant les avenues) la Batmobile deviendra inutilisable et vous n’aurez plus qu’à recommencer. Le côté délicat de ce niveau est donc de trouver le bon compromis entre vitesse et maniabilité. Pour espérer échapper au Joker dans les temps, sans rayer sa carrosserie, il faudra donc apprendre à maintenir une vitesse suffisamment élevée tout en sachant slalomer dans la circulation. Ajoutons à cela les impérieuses injonctions de bifurquer juste avant les barrages de Police, et vous comprendrez pourquoi ce second niveau est le plus ardu du jeu. Mais en définitive, toutes ces contraintes procurent quelques sueurs froides qui rendent la partie vraiment intéressante et intense, brisant le rythme un peu « plan-plan » du premier niveau dans lequel il fallait avancer à pas feutrés. À force de persévérance, le but sera finalement atteint.
La troisième partie ne serait qu’une simple formalité si le temps n’était pas aussi limité. Seulement voilà : une minute, ça passe très vite, surtout quand on panique. Il faut donc apprendre à conserver son sang-froid, pour ne pas gaspiller les sept essais autorisés, et surtout se constituer une méthode logique à appliquer. Heureusement, contrairement au véritable Master Mind, les trois éléments à identifier parmi les 8 proposés n’ont pas besoin d’être disposés dans un ordre précis. Il suffit juste de les identifier pour passer au niveau suivant. De plus, deux des éléments proposés en test (le savon et le dentifrice) ne font pratiquement jamais partie de la combinaison. En sachant cela, trouver la solution devient plus facile.
La quatrième partie s’apparente à la deuxième, le grappin en moins et l’altitude à gérer en plus. La difficulté numéro un est donc ici de s’habituer aux commandes du Batwing. Les directions Haut et Bas gèrent bien entendu l’altitude de l’engin, mais aussi sa vitesse lorsque l’on presse simultanément le bouton Fire. Le chrono est cette fois encore de la partie, mais comme il est beaucoup moins sévèrement limité que dans la section en Batmobile, ce n’est pas lui qui entraînera la perte d’une de vos vies. La seconde difficulté est donc plutôt celle-ci : chercher à limiter les impacts de votre appareil contre les ballons (si vous volez trop haut) ou contre les véhicules qui les tractent (si vous volez trop bas). Une fois la résistance du Batwing réduite à zéro vous perdrez une vie et recommencerez. Pour éviter les accidents il vaut mieux alors réduire la cadence afin de piloter plus tranquillement et de bien viser les cordes à sectionner. Lorsque vous avez trouvé votre vitesse de croisière (adaptée à vos réflexes) et que vous savez adapter votre altitude aux circonstances (la hauteur des ballons varie, de même que le niveau du sol), la section se termine sereinement.
Enfin le dernier niveau du jeu ajoute trois complications par rapport premier : de grandes sections hérissées de pics (que l’on peut franchir grâce au Bat-grappin), la fragilité de certaines poutres vermoulues qui s’effondrent sous vos pas (après avoir montré des signes de faiblesse, vous laissant ainsi le temps de réagir) et la présence de rats belliqueux (que l’on ne peut éliminer). C’est d’ailleurs un des seuls reproches que l’on peut faire au jeu. Batman est capable de se défaire d’hommes de main armés, mais pas de misérables rongeurs qui lui arrivent à la cheville. C’est assez incompréhensible. Heureusement qu’il est assez facile de se suspendre un moment au plafond grâce au Bat-grappin pour les laisser filer en dessous.
Reste la question du nombre de vies donné. Sont-elles suffisantes pour tout ça ? Puisqu’il n’y a ni mots de passe, ni sauvegardes, comment franchir ces cinq niveaux avec seulement les trois de départ ? Et bien cela n’est pas impossible du tout. Tout d’abord, au début de chaque niveau, l’énergie de Batman sera totalement restaurée, même si vous étiez presque mort à la fin du précédent. Pour ce qui est des vies vous n’en trouverez aucune dans les niveaux sous forme de bonus : il n’y a aucun item à collecter dans tout le jeu. Par contre vous en gagnerez une première sitôt que vous aurez achevé le premier niveau (valable uniquement sur la version en deux disquettes, pas sur les rééditions en une seule). Puis, d’autres vous seront créditées à chaque tranche de 100 000 points que vous atteindrez au score (celui-ci augmentant en progressant et éliminant des ennemis). Enfin, tout le monde sera ravi d’apprendre que, hormis dans le troisième, chaque milieu de niveau atteint constitue un ‘checkpoint’. Ce pallier devient alors le point de départ de tout nouvel essai, évitant ainsi de tout reprendre depuis le début.
Alors certes, tout cela ne signifie pas pour autant que le jeu pourra être terminé en seulement deux ou trois parties. Il faudra même s’y reprendre à de nombreuses reprises afin de maîtriser chaque section. Mais la difficulté de l’ensemble a été savamment étudiée, et le bilan final est que Batman The Movie est finissable pour un joueur moyen faisant preuve d’un minimum de persévérance. Cela méritait d’être dit car en 1989, venir à bout d’un jeu de plate-formes/action était malheureusement trop souvent réservé aux seuls hardcore-gamers. Ce n’était qu’à force d’acharnement et d’une grande quantité de temps consacré, qu’ils pouvaient seuls, y parvenir. Citons, comme exemples parmi tant d’autres, Rick Dangerous, Bio Challenge ou, de nouveau, Shadow of The Beast, qui lui sont contemporains. Ou bien, pour y parvenir, il fallait utiliser les modes Trainers proposés dans les Cracktros, octroyant des vies infinies, mais l’intérêt du challenge était alors réduit à néant. En Résumé : cela fait vraiment plaisir de voir que, pour une fois, le jeu a été suffisamment testé et calibré pour le plaisir des joueurs. On ne peut qu’en être reconnaissant à ses concepteurs tant ce fait est rarissime pour l’époque.
En fin de compte, il suffit d’une petite demi-heure pour parcourir l’intégralité du jeu une fois qu’on le maîtrise de fond en comble. On peut donc trouver plus facilement le temps d’y jouer ce qui n’est pas le cas de bien d’autres. Prenons l’exemple de Turrican de Factor 5 (sorti six mois après Batman) pour lequel une bonne heure et demi est nécessaire, même quand on le connaît sur le bout des doigts.
UN JEU « BATMOSPHERIQUE » ?
J’avais volontairement gardé pour la fin l’aspect sonore, primordial dans l’ambiance d’un jeu vidéo, et qui pose un peu problème ici. D’un point de vu strictement objectif, les compositions qui accompagnent la partie sont bien écrites. La musique d’introduction, plutôt entraînante, est dans le genre « Funky ». Les différentes mélodies des deux niveaux de plate-formes, apportent chacune une touche de suspens adaptée à des séquences d’infiltration. La plus réussie des deux étant la seconde, dont les sonorités proches d’un orgue d’église, rappellent que l’action prend place dans une cathédrale. Le thème « Metal », que les niveaux deux et quatre ont en commun, est plus excitant, bien rythmé, et incite à foncer à travers Gotham. Elle est tout à fait adéquate pour des séquences d’action. Celle du troisième niveau est superbe mais stressante : elle gêne la concentration pour la résolution de l’énigme. A tel point qu’il vaut mieux couper le son pour se laisser réfléchir plus sereinement, ce qui est un peu dommage. Enfin la perte d’une vie ou la réussite d’une mission sont ponctués de jingles venant souligner l’événement. Concernant les bruitages, ils sont assez moyens, simplement descriptifs, et n’appellent pas de commentaires particuliers. Le rendu sonore de l’ensemble est étonnant : l’échantillonnage n’est pas très bon. On a l’impression que les hauts-parleurs sont bouchés par des chiffons tant le rendu sonne comme « étouffé ». C’est assez étonnant surtout, connaissant les qualités du chipset Paula, mais ce n’est pas le plus grave.
Le principal souci vient plutôt de là: Mais où est donc passée la musique de Danny Elfman ? Que chacun ré-écoute la bande originale du film pour comprendre le sens de cette question. En effet, les Amigaïstes fans du long-métrage auraient sans doute préféré se faufiler furtivement dans l’usine Axis ou la cathédrale de Gotham accompagnés du thème principal si envoûtant du film de Burton (cf : piste 7 du CD). Ou bien se torturer les méninges dans le niveau 3 avec le thème lancinant de la Batcave (piste 11). Ou encore piloter la Batmobile ou le Batwing soutenu par les élans de cuivre et les coups de cymbales de l’orchestre (pistes 15 ou 16). Au lieu de ça ils ont droit à des musiques qui, même si elles sont réussies dans leur genre respectif, n’ont pas le souffle épique de celles du film. Si l’on va jeter un coup d’œil du côté de la concurrence, à la même époque, que trouvons-nous ? Les jeux de la franchise « Indiana Jones et la dernière croisade » de LucasFilm Games ne manquent pas d’accueillir le joueur avec le célèbre hymne propre à l’aventurier. L’écran d’accueil de Ghostbusters 2 d’Activision régale ses fans grâce à sa bonne adaptation Rock’nRoll, assorties de voix digitalisées, de la chanson-phare mondialement connue : « Who you gonna call ? Ghostbusters ! » Et de son côté, Image Works ne s’est pas privé d’inclure dans son jeu éponyme les mélodies composées pour le film : « Back to the Future Part II ». Aussi il est assez incompréhensible, en tant qu’adaptation officielle du film, que le Batman d’Ocean n’intègre pas de transpositions (même approximatives) de la partition du célèbre compositeur. Automatiquement l’ambiance, que l’on souhaiterait émaner du film, en prend un coup. Lorsque le fan voit apparaître la superbe image d’accueil du jeu, qui reprend pourtant un visuel officiel du film, il s’attend à entendre aussitôt après le thème musical mystérieux de la séquence d’ouverture du film. La musique Funky que diffuse alors ses hauts-parleurs, aussi bonne soit-elle, ne peut que le décevoir amèrement.
LE MOT DE LA FIN : L’AVIS DE DOC HOLLIDAY
Comme nous l’avons vu, ce jeu est réussi sur bien des aspects : Gameplay varié évitant la monotonie, réalisation technique exemplaire en 1989 et niveau de difficulté bien équilibré. Mais le meilleur atout, à mes yeux, de Batman The Movie est qu’il est une superbe adaptation du film qu’il est sensé représenter. On peut le constater sur trois points essentiels :
En ce qui concerne les visuels tout d’abord : certains sont directement issus du film puis retravaillés. Ainsi, les écrans d’accueil (on reconnaît bien Michael Keaton), de Game Over (Jack Nicholson), les visages du héros et de son ennemi qui se succèdent (en guise de barre d’énergie), les designs des deux véhicules que l’on peut conduire, l’ombre du Batwing qui est le logo du héros … tout est visuellement très fidèle au design du film. Les graphistes d’Ocean ont bien mis à profit les photos de production auxquelles ils ont eu accès. Visuellement nous sommes bel et bien plongés dans l’univers de Tim Burton.
En second lieu le déroulement du jeu suit fidèlement le scénario du long-métrage. La chronologie est respectée et à chaque niveau correspond effectivement une scène du film. Je regrette seulement qu’il n’y ait pas plus d’éléments narratifs entre les niveaux pour suivre le déroulement de l’action. Seules quelques lignes très brèves expliquent l’histoire. Il faut se référer au manuel d’utilisation pour comprendre le sens des enchainements entre les niveaux du jeu. J’aurais préféré un peu plus de textes Ingame, agrémentés de quelques images, d’autant plus que la version Atari St en bénéficie. Mais ce n’est pas un grand reproche.
Le troisième point concerne le respect de l’œuvre originale. Les concepteurs de jeux, dans leur travail d’adaptation d’un film, sont toujours confrontés à un problème essentiel : convertir en séquences ludiques des scènes cinématographiques qui n’ont pas été conçues dans ce but. Pour y parvenir ils prennent, et on peut les comprendre, certaines libertés par rapport au matériau d’origine. Mais le risque est de trop s’en éloigner. Dans le cas qui nous occupe, on peut les féliciter de ne pas être allés jusqu’à contredire leur modèle. Dans le jeu comme dans le film, Batman assiste à la chute de Jack Napier dans la cuve d’acide, est considéré comme un criminel par la Police, utilise son équipement spécifique (Batarangs, grappin) et pilotes ses véhicules aux lignes stylisées. Le joueur se retrouve bel et bien dans le film dont l’affiche est reproduite sur la boite du jeu. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Le pire contre-exemple dans ce domaine est le jeu Alien3 (Virgin – 1992). Dans le film de David Fincher il n’y avait qu’un seul Alien, et les personnages n’avaient pas l’ombre d’une arme pour se défendre. Or l’équipe de développeurs a voulu en faire un jeu d’action. On se donc retrouve aux commandes d’une Ripley armée jusqu’aux dents (mitraillette, lance-grenade, lance-flamme etc …) qui doit affronter des xénomorphes par paquets de douze. Résultat : le jeu n’a plus rien d’autre en commun avec son modèle que le titre. L’esprit du film est galvaudé.
Batman The Movie d’Ocean en est le contrepoint parfait, en cohérence totale avec son modèle. Lorsque l’on y joue on est dans l’univers de Batman, on suit une aventure de Batman et, plus important encore, on se sent être Batman.
Pour vous prendre pour l’homme-chauve-souris, je n’ai trouvé qu’une seule version fonctionnelle à 100 % : ici.
Batman The Movie : Le test
Extrait de l’article :
INTRODUCTION : LE RETOUR DU CHEVALIER NOIR Souvenez-vous, il y a désormais plus de trente ans, les salles obscures du monde entier attiraient des mill
L’article complet est disponible ici : https://www.amigafrance.com/batman-the-movie-le-test/